jeudi 9 juin 2016

Botanique à la plage (aou cha-cha-cha)

Profitant de la moiteur de juin, ma chère et tendre et moi-même sommes allés glander au bord de mer. C'est pas donné à tout le monde d'être à mi-temps, ça libère vachement de temps pour ne rien faire. 

Bon, le naturel revenant au galop, ni une ni deux, après m'être endormi comme une larve près d'une dune, j'ouvre les yeux, et BAM, une plante à portée de main sur ladite dune, et c'est parti pour une session botanique de bord de mer.



Euphorbe


Euphorbe maritime, Euphorbia paralias L.,
le 7 juin 2016 à Ouistreham (Calvados)
Le même, mais le 18 avril 2016 à Merville-Franceville (Calvados),
bien avant la floraison
Première trouvaille, un euphorbe maritime, Euphorbia paralias L. pour les intimes, qui pousse partout sur nos côtes, qu'on ne remarque pas forcément mais à l'inflorescence pourtant très extravagante. Jugez plutôt :


L'inflorescence des euphorbes est appelée une cyathe. Elle est composée, au centre, d'une fleur femelle, entourée de fleurs mâles réduites aux étamines. Le tout est encadré par deux feuilles modifiées, qu'on appelle bractées, qui protègent la fleur et miment des pétales. 

Les euphorbes forment une très grande famille de plusieurs milliers d'espèces dans le monde. Certaines euphorbes ressemblent à de grands cactus et sont vendues en jardinerie. Toutes émettent à la cassure un suc laiteux et toxique, très irritant pour la peau et les muqueuses. Elles sont d'ailleurs épargnées par le bétail quand elles poussent sur les pâturages. Avaler une euphorbe entraîne une intoxication pas franchement marrante : 
"brûlures dans la bouche et de la gorge, douleurs intolérables de l'estomac, vomissements, diarrhée incoercible et sanguinolente, dilatation des pupilles, vertiges, délires, convulsions, réduction de la circulation, (...)" (Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, Editions Omnibus)
Les usages médicinaux des euphorbes sont, de fait, assez limités...



Le parasitisme chez les plantes : les orobanches


Juste à côté, poussait une belle colonie d'orobanches, a priori l'Orobanche du trèfle (Orobanche minor Sm.). C'est une plante pas forcément des plus sexy, mais elle est intéressante car il s'agit d'une plante parasite. Vous l'aurez deviné, elle préfère parasiter le trèfle, mais comme ici elle s'acclimate aussi bien d'autres plantes.







Les racines de l'orobanche se fixent directement sur les racines de la plante hôte, et pompent l'eau et les nutriments essentiels à son développement. Les orobanches sont des plantes qui se remarquent par leur couleur : pas une seule trace de verdure. En effet, elles n'ont pas besoin de chlorophylle, n'utilisant pas le soleil pour développer les éléments indispensables à leur survie. De même, le feuillage est limité à son strict minimum.


Les orobanches produisent plusieurs milliers de graines minuscules par pied, pouvant germer pendant plusieurs années. En effet, les graines qui germeraient loin d'une plante hôte ne seraient pas viables. La plante est donc obligée, pour sa survie, de multiplier ses chances de rencontre.

Certaines espèces d'orobanches, parasitant par exemple le tournesol, sont une menace dans les parcelles de grandes cultures : elles baissent le rendement, en affaiblissant la plante à laquelle elles se greffent. 




Une plante invasive : le Séneçon du Cap.


Sur ce minuscule bout de dune, un petit monticule de quelques mètres carrés au milieu de la plage, se trouvait aussi un Séneçon, peut-être la plante parasitée par l'Orobanche : le Séneçon du Cap (Senecio inaequidens DC.). Comme son nom l'indique, elle est originaire d'Afrique du Sud, et s'est naturalisée un peu partout en France, les graines ayant sans doute été transportées par la laine des moutons. 

La page Wikipedia de la plante nous explique que les premiers Séneçons du Cap auraient été observés vers 1934/1936, à la fois du côté de Calais et de Mazamet, qui disposaient d'usines textiles, et se seraient ensuite propagés via les voies de chemin de fer. En Normandie, l'acclimatation est récente, sans doute moins de 30 ans. Il s'agit d'une plante invasive, qui abonde par endroit au détriment de la flore locale et contribue à dérégler les écosystèmes.




Cette plante est de la famille des Astéracées ou Composées, comme le pissenlit, la pâquerette, la plupart des chardons... Cette famille a une inflorescence remarquable, faisant preuve d'une stratégie d'adaptation très développée. 


Quand vous arrachez les pétales d'une pâquerette pour savoir combien vous m'aimez, en fait, il s'agit non pas de pétales mais de fleurs. Je m'explique : ce que l'on prend pour une fleur est en réalité un capitule, un ensemble de toutes petites fleurs serrées entre elles de manière à donner l'impression qu'il ne s'agit que d'une seule grande fleur. Manière efficace d'attirer les pollinisateurs, selon l'adage "L'union fait la force". 


Les fleurs des Astéracées sont de deux sortes : les unes sont dites ligulées, ce sont celles justement qui miment le pétale, à l'extérieur du capitule, blanche chez la pâquerette ou jaune comme sur le Séneçon ci-dessus. Les autres sont tubulées, ce sont tous les points jaunes qu'on retrouve au milieu du séneçon. Parfois, seules les fleurs tubulées sont fertiles. 


Certaines Astéracées, comme le Pissenlit, ne comportent que des fleurs ligulées, d'autres comme la plupart des chardons que des fleurs tubulées, ou encore comme chez la marguerite le capitule comporte les deux types de fleurs.




Sur la photo ci-dessus, le capitule du Séneçon du Cap ne comporte plus de ligules, caduques. Les tiges vertes que l'on aperçoit ne sont pas des sépales mais des bractées, c'est-à-dire des feuilles modifiées faisant partie de l'inflorescence.



Le Séneçon du Cap se distingue de la plupart des autres Séneçons de Basse-Normandie notamment par ses feuilles, qui sont entières ou avec quelques dents fortes, et linéaires. 

Les Séneçons ont été utilisés depuis longtemps en médecine humaine, mais présentent une certaine toxicité. Bien sûr, le Séneçon du Cap, comme espèce invasive arrivée tardivement en Europe, n'est pas documenté dans l'herboristerie classique européenne. Mais la littérature fait référence à d'autres espèces depuis au moins l'époque de Théophraste (371 - 286 av. J.-C.), élève d'Aristote. 

Le Séneçon vulgaire (Senecio vulgaris L.) est un puissant remède emménagogue (stimulant le flux sanguin dans la région utérine et favorisant l'apparition des règles), et sédatif des règles douloureuses. Cependant, on lui préfère d'autres plantes pour cet usage, car il est aussi hépatotoxique, cancérogène et mutagène. Il s'agit aussi d'une plante dangereuse pour le bétail, qui ingérée en grande quantité peut tuer chevaux et vaches. 


La Queue de lièvre


Finissons par une plante toute douce. Entre les parasites et les invasives, j'avais l'impression de faire de la propagande très à droite, finissons donc par un spécimen plus léger avant que des gens mal intentionnés ne profitent de cet article pour faire des comparaisons douteuses :-)

Qui dit plage, dit Pompons, ou Queues de lièvres : une Graminée (ou Poacée comme on dit maintenant), magnifique, abondante sur le littoral, toute soyeuse, très jolie en bouquets champêtres. J'ai nommé la Lagure ovale, ou Lagurus ovatus L., qui contribue pour beaucoup au charme des plages européennes.
Un tapis de Lagurus ovatus,
qui restera toujours dans mon cœur sous le nom de Pompon.

Epi de Lagurus ovatus L.
Les Poacées sont sans doute les végétaux les plus présents sous nos latitudes, formant tout ce qu'on appelle vulgairement "herbe". Beaucoup de botanistes les délaissent, à cause de la petitesse et de la complexité de leurs fleurs, qui rendent leur identification difficile. Et puis faut avouer que ça claque moins qu'une orchidée (encore qu'il y ait des orchidées très moches et des graminées très belles, mais ce sera l'objet d'un futur article). Les fleurs de Graminées sont rassemblées en épillets, eux-même rassemblés en épi.




A suivre...



Après cela, nous nous sommes promenés au Marais de Colleville-Montgomery, mais les plantes observées là-bas feront l'objet d'un autre article, peut-être, plus tard, si je suis courageux :-)


Je vais aussi préparer une page spéciale pour que vous puissiez retrouver les mots de vocabulaire botanique et médicinal que j'emploie dans les articles, pour pouvoir les raccourcir : je ferai un lien hypertexte sur le mot de l'article qui pointera sur sa définition. Va me falloir du courage !

1 commentaire:

  1. Peut-on dire que tu botaniques la mer ? :)
    Bon, d'accord, mauvais jeu de mot.

    Très bonne idée, le lexique. Ça devrait être d'un réel secours pour les béotiens en botanique comme moi.

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