vendredi 3 juin 2016

Valériane et houblon enlacés

Profitant du proverbial soleil printanier de Normandie, je me suis aventuré, bottes aux pieds, tout au bord de la Sarthe, dans un lieu mal connu des Alençonnais et pourtant magnifique et très riche en biodiversité : la Fuie des Vignes.

C'est un espace préservé grâce aux crues régulières de la Sarthe qui l'ont protégé de l'urbanisation, un grand poumon vert à dix minutes à pied du centre-ville d'Alençon, encerclé par les quartiers de Montsort et Perseigne. Une zone humide propice au développement de toute une cohorte de plantes amatrices d'eau : Renoncules, Saules, Carex, etc.

Tout au bord de la Sarthe, donc, vraiment tout contre la berge, j'ai pu observer les embrassades de deux plantes pas tellement rares, mais toutes les deux considérées comme sédatives dans la pharmacopée européenne.




Vous avez donc ici la Valériane officinale (Valeriana officinalis f. repens (Host) B.Bock) qui sert de support pour le Houblon (Humulus lupulus L.), plante grimpante.

Les fleurs appartiennent à la Valériane, ainsi que la tige droite,
tandis que les feuilles visibles sont celles du 
Houblon.
Le 30 mai 2016 à Alençon.
Ce sont deux plantes médicinales, utilisées de longue date par l'Homme, notamment réputées pour leurs propriétés sédatives et anxiolytiques, même si, dans le corps médical, les avis divergent1 sur l'efficacité de la Valériane.

Le Houblon (Humulus lupulus L.)


Un peu de botanique


Le Houblon appartient à la famille des Cannabaceae. C'est donc un "cousin" du Cannabis, mais qui pousse facilement chez nous à l'extérieur des placards. D'ailleurs, Houblon (Humulus) et Chanvre (Cannabis) sont les deux seuls genres que les botanistes rangeaient dans cette famille, jusqu'à ce que la génétique bouleverse tout ça au XXIe siècle.

C'est une famille qui était caractérisée par les nervations des feuilles palmées : les nervures partent toutes du même point au sommet de la feuille dans des directions différentes, à la manière des doigts de la main. 

Chanvres et Houblons sont aussi des plantes dioïques : ça signifie que les fleurs sont soit mâles, soit femelles, et poussent sur des pieds différents. Les fleurs ne sont donc pas hermaphrodites. Ainsi, il n'y aura pas de formation de graines avec juste un seul pied : les fleurs ne seront jamais fertilisées. Exactement comme chez les humains en fait : vous aurez beau avoir un beau pistil, si aucune étamine n'y dépose son pollen, hé bien pas de petite graine en vue :-). Si ce mode de reproduction est quasi-généralisé chez les animaux, chez les végétaux à fleurs, une large part des individus portent à la fois les organes mâles et femelles.

Vous pourrez facilement reconnaître les pieds de houblon dans la nature, principalement dans les haies et les lieux frais. Il s'agit d'une liane herbacée atteignant jusqu'à 6 mètres, donc la tige s'enroule autour de son support, à la croissance rapide. La tige n'est pas circulaire mais quadrangulaire, et est rêche au toucher. Les Romains croyaient que le houblon suçait la sève des arbres autour desquels il s'enroulait, et l'ont donc nommé Lupulus, soit Petit Loup.

Les feuilles sont opposées (face à face de part et d'autre de la tige), pétiolées (elles ne sont pas collées directement à la tige, mais reliées à celle-ci par une petite tige qu'on appelle pétiole), dentées et lobées.

En septembre, on remarque de loin les pieds femelles, par leurs fleurs sous forme de cônes argentés, répandant une poudre jaune-orangée collante à l'odeur résineuse prononcée : la lupuline.


Inflorescence mâle du Houblon,
le 05 août 2015 à Salenelles (Calvados)

La bière2


Hé oui, principal usage et pas des moindres du Houblon : aromatiser la bière, lui donner une amertume plus ou moins prononcée, ce goût floral qui vous explose en bouche chez les IPA3.

C'est l'un des plus anciens usages du Houblon, d'ailleurs, qui lui donne son nom de Vigne du Nord, et qui se serait développé vers le IXe siècle. On utilisait aussi dans le passé le Chanvre pour ce même usage. Les brasseurs récupèrent des fleurs femelles la lupuline, riche en huiles essentielles, tanins et résines. Cette poudre, selon Paul-Victor Fournier (Dictionnaire des Plantes médicinales et vénéneuses de France, Editions Omnibus), contribue, en plus du goût, à la clarification et à la conservation du moût de la bière, ainsi qu'à la limitation de la prolifération bactérienne.

Les pousses terminales du Houblon peuvent aussi être consommées cuites comme les asperges, constituant l'un des meilleurs légumes sauvages du printemps, à ne pas confondre cependant avec d'autres lianes de nos régions, certaines étant très toxiques comme la Bryone (Bryonia dioica Jacq.). Le houblon en légume est d'ailleurs connu dès l'antiquité, cité par Pline l'Ancien (23 - 79) comme légume de fantaisie.


Les effets du houblon sur la santé


Le Houblon est une plante dont les usages thérapeutiques documentés sont assez récents : la première mention qui nous soit parvenue est celle de Sainte Hildegarde, au XIIe siècle, qui en fait un remède à la mélancolie.

Aujourd'hui, il est considéré comme un tonique du système digestif par ses principes amers, sédatif par ses huiles essentielles, anaphrodisiaque (l'inverse d'aphrodisiaque, donc) par la lupuline, et comme diurétique. Ce qui ne surprendra pas les buveurs de bières ou leurs partenaires.

D'après certaines études médicales récentes, le houblon aurait un effet œstrogénique, "féminisant" l'organisme. Si chez la femme ça peut favoriser la montée de lait à l'allaitement, chez l'homme, on peut observer parfois une augmentation du volume de la poitrine4

D'après Paul-Victor Fournier, le Houblon présente une certaine toxicité, en tout cas à dose élevée, surtout à cause de son action hormonale. Les travailleurs des houblonnières souffrent, en particulier pendant les cueillettes, de troubles hormonaux, de somnolence, de migraines...


La Valériane officinale (Valeriana officinalis f. repens (Host) B.Bock)


Botanique


La Valériane officinale, aussi appelée Herbe aux Chats, est une grande plante assez commune en zone humide en Normandie. Autrefois membre de la famille des Valérianacées (étonnant !), les progrès en génétique ont fusionné cette famille dans celle des Caprifoliacées, famille du Chèvrefeuille (genre Lonicera).

Parmi les membres les plus connus des Valérianacées, on peut citer la Mâche (Valerianella locusta (L.) Laterr.), le Centranthe rouge ou Lila d'Espagne (Centranthus ruber (L.) DC., photo ci-dessous), ou encore le Nard jatamansi (Nardostachys grandiflora DC.), une plante asiatique très réputée par le passé en parfumerie pour son odeur terreuse, que l'on rencontre plusieurs fois dans la Bible5.


Pied de Centranthe rouge, herbe commune des trottoirs.
Le 5 mai 2016 à Ver-sur-Mer, Calvados
La Valériane se reconnaît par sa tige cylindrique, creuse, cannelée (striée, sillonnée, et non lisse), son gros rhizome (organe souterrain servant généralement de réserve nutritive pour la plante) d'où partent de nombreuses racines, ses feuilles opposées et profondément divisées (photo ci-dessous).

Détail d'une feuille de Valériane. La feuille est l'ensemble
des morceaux visibles, chaque "morceau" s'appelant un foliole.

Les fleurs sont petites, blanches à rosées, hermaphrodites (portant les organes mâles et femelles à la fois), forment une corymbe à maturité (les fleurs sont insérées à des points différents de la tige, et sont de longueurs différentes pour que les fleurs arrivent toutes sur un même plan).

L'ensemble de la plante dégage une odeur désagréable (décidément !), rappelant la vieille urine. C'est pour ça que la Valériane se retrouve souvent vendue en gélules et non en vrac, la tisane étant vraiment infâme. C'est cette même odeur qui est responsable de l'attirance de nos amis les chats pour cette plante, rappelant certaines phéromones. C'est très intéressant de mettre un chat au contact de valériane, l'effet est immédiat et l'attirance vraiment très puissante, provoquant une sorte d'ivresse au félin.


Corymbe de Valériane
Détail des fleurs.



Une plante médicinale


La Valériane, dont l'étymologie viendrait peut-être du latin Valere signifiant "être fort", est une plante depuis longtemps inscrite dans la pharmacopée européenne. On la cite en abondance dans les textes médicaux grecs et romains, mais il s'agirait en fait d'une autre variété de Valériane, abondante en Asie mineure. Hippocrate (~-460 - ~-370), père de la médecine moderne, en fait par exemple mention.

Énormément de propriétés ont été attribuées au cours de l'Histoire à la Valériane, certaines fantaisistes comme celle de repousser les Elfes. Matthiole (1501-1577), médecin et botaniste italien, en fait par exemple un remède à la flatulence, à la peste, à l'asthme, aux venins d'animaux, à la vue faible...

Mais ce qui ressort le plus souvent, ce sont ses propriétés anxiolytiques (qui diminue l'anxiété, comme le font les benzodiazépines (Lexomil, Xanax...)) et antispasmodiques (qui diminue les spasmes musculaires). On utilise pour ça le rhizome de la plante, de préférence sous forme fraîche, mais aussi de plus en plus séché et réduit en poudre, ou encore sous forme de teinture alcoolique (la plante est mise au contact d'alcool, qui agit comme un solvant pour extraire les principes actifs). 

Jusqu'à l'apparition des médicaments chimiques, c'est le principal remède européen des désordres nerveux en général : épilepsie, vertiges, nervosité, migraines, sevrage tabagique ou alcoolique... Et c'est toujours le principal médicament de phytothérapie pour l'anxiété et les troubles du sommeil, des extraits de Valériane ayant montré une affinité avec les récepteurs GABA du cerveau. 

Par contre, son efficacité est remise en cause, notamment à cause de la faiblesse méthodologique des tests médicaux réalisés pour juger des effets de la valériane. Il est difficile, avec les données médicales dont on dispose, de juger si son efficacité dépasse celle d'un placebo. Reste à espérer que des études plus consistantes soient réalisées pour déterminer ou non de l'efficacité véritable de la plante. Une alternative, a priori faiblement toxique, aux anxiolytiques chimiques serait bienvenue et améliorerait certainement la qualité de vie d'un grand nombre de gens.


1Ce qui est énorme, selon Pierre Desproges qui était impressionnable.
2C'est comme si c'était mon frère, selon les Garçons Bouchers, qui ne savaient pas qu'on utilise la fleur femelle
3India Pale Ale, un type de bière à haute fermentation d'origine anglaise, forte en houblon, qui prouve que les Britanniques savent faire de la bière
4https://fr.wikipedia.org/wiki/Houblon#Pharmacop.C3.A9e
5Exemple : « prenant une livre d'un parfum de nard pur, de grand prix, Marie-Madeleine oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux ; et la maison s'emplit de la senteur du parfum » (Evangile selon Saint Jean, XII:3)

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